19 Mai 2016
Ne parlons pas de racines !
D'Asie mineure vers Rome
L'intégration des religions à Rome
Persécutions des chrétiens
Constantin le Grand et le concile de Nicée
Théodose 1er et le premier concile de Constantinople
Une situation très étrange
Le Credo pollue la foi
Des voix s'étaient élevées lors de la préparation du Traité Constitutionnel Européen pour que les « racines chrétiennes » de l'Europe y soient inscrites. À moins de vouloir faire de la religion chrétienne – et de quelle religion chrétienne ? - la religion officielle de l'Europe on ne voit pas ce que serait venue faire cette inscription dans un traité constitutionnel. Cette inscription ne s'est pas faite et le traité a été rejeté. Néanmoins ces fameuses racines soulèvent de temps à autre la polémique.
Tout d'abord l'image botanique suggérée par le terme « racines » me semble tout à fait inappropriée. Comme si l'Europe, assimilée à une plante, n'aurait eu de chrétienne que les racines. Il eût mieux valu parler de terreau chrétien. L'image employée par Simone Weil quand elle évoque « la source grecque » est, par contre, beaucoup plus pertinente. Il y a la source grecque, la source romaine, la source gauloise et bien d'autres sources qui ont alimenté le fleuve France. Pour le fleuve Europe il s'y ajoute d'autres sources comme la source germaine, la source slave, la source magyare, la source scandinave... et la source chrétienne.
La religion chrétienne a effectivement marqué la culture de l'Europe pendant une bonne quinzaine de siècles, quelques siècles de plus ou de moins selon les pays. Originaire d'Asie mineure, la religion chrétienne a d'abord coexisté douloureusement dans la Rome antique avec la religion romaine puis elle en a pris la succession. Témoin de cette succession il y a, dans la ville d'Assise, en Italie, une église consacrée à Marie qui était auparavant un temple consacré à Minerve !
Mais la filiation avec l'Empire romain va beaucoup plus loin que cette symbolique réaffectation d'un lieu de culte.
Sous la République une sorte de présidence de la religion revenait au Pontifex maximus, le Grand Pontife, recruté à vie par cooptation. Avec l'Empire la fonction et le titre sont passés à l'Empereur.
Lors de l’expansion de l'Empire romain des territoires avaient été conquis sur des peuples qui ne pratiquaient pas la religion romaine. Le problème était en général résolu soit par l'intégration de leurs Dieux dans le panthéon romain soit par la reconnaissance de leur religion comme religio licita, religion licite.
Ce statut était notamment reconnu aux juifs de la diaspora nombreux à Rome et dans l'Empire. Ce statut des juifs n'avait soulevé aucun problème car leur religion étant une religion ethnique elle risquait peu de rentrer en concurrence avec la religion romaine : la conversion au judaïsme n'est pas une simple adhésion mais un long processus d'assimilation qui ne suscite guère de vocation. Ce qui n'empêchait pas la religion juive de susciter une audience auprès des païens.
Normalement les chrétiens auraient dû bénéficier du même statut de religio licita, d'autant qu'au début ils étaient souvent confondus avec les juifs. Mais ils ont été rapidement perçus différemment à cause de leur vocation universaliste les portant au prosélytisme. D'autant que la conversion au christianisme est aisée : l'adhésion et le baptême suffisent. Bien que les chrétiens respectassent la loi ils entraient en concurrence avec la religion romaine. D'où un rôle tout désigné de bouc émissaire et une alternance de persécutions, dont certaines furent atroces, et de périodes de rémission.
Les persécutions ne réussirent pas à tarir la lente progression du christianisme dans l'Empire. Leurs motivations n'avaient d'ailleurs pas de base très sérieuse eu égard aux intérêts de l'Empire. Finalement, au début du IVème siècle, un statut fut reconnu aux chrétiens. Mieux, Constantin 1er dit le Grand, empereur de l'Empire Occident-Orient réunifié, se convertit au christianisme en 312.
« Se convertit », il ne faut pas trop s’appesantir car il ne demanda le baptême qu'à l'approche de la mort en 337 !
Sa vie de néophyte fut d'ailleurs loin d'être une vie chrétienne édifiante : en 326 il fit assassiner son fils Crispus puis sa seconde femme Fausta ! S'il avait attendu sa dernière heure pour se faire baptiser c'était, dit-on, pour arriver devant Dieu purifié de tous ses péchés par le baptême sans avoir eu le temps d'en commettre de nouveaux !
Cet empereur à moitié converti au christianisme avait toujours la fonction de Grand Pontife. Ce qui explique que ce soit lui qui ait pris l'initiative en 325 de convoquer les évêques de l'Empire pour tenir concile à Nicée afin qu'ils surmontassent leurs divergences et se missent d'accord sur un Credo. Ce qu'ils firent en définissant le dogme de la Trinité, dogme qui eut du mal à passer dans les diocèses d'Asie mineure et d'Égypte.
Un second concile œcuménique fut donc convoqué à Constantinople en 381 par Théodose 1er qui, l'année précédente, avait reçu le baptême et qui, la même année, avait par l'Édit de Thessalonique proclamé le christianisme religion officielle de l'Empire. Comme Théodose n'était alors empereur que d'Orient, ne furent donc convoqués que les seuls évêques d'Orient (un concile parallèle se tint dans l'Empire d'Occident).
Parmi les convoqués, les évêques qui n'acquiesçaient pas au Credo de Nicée furent priés de prendre la porte. Théodose avait même auparavant remplacé Démophile, l'évêque non conforme de Constantinople, par Grégoire de Nazianze évêque bon teint.
Dans ces circonstances le Concile de Constantinople n'apporta que peu de nouveauté par rapport au Credo de Nicée sinon un simple complément sur l'Esprit Saint.
On avouera qu'on se trouve face à une situation très étrange. Constantin, empereur à moitié converti, qui somme les évêques de définir une ligne commune. Quant à Théodose, à peine vient-il d'être baptisé, qu'il vire son évêque en prenant ses dispositions pour que la ligne du Parti, pardon de l'Église, soit respectée.
Et c'est le Credo défini dans ces conditions qui sert encore aujourd'hui de symbole de la foi pour la plupart des Églises chrétiennes !
Mais la foi a-t-elle vraiment besoin d'être encadrée par un Credo ? Ou bien le Credo ne correspond-t-il pas plutôt à une logique impériale ? Cette logique se retrouve tout au long de l'histoire dans les conversions forcées, celle sanglante des Saxons par exemple, les anathèmes, les bûchers, les tortures des inquisiteurs.
Aujourd'hui encore il en subsiste des relents comme la complaisance de certains prélats dans l'affaire des crèches ou, justement, cette insistance pour inscrire « les racines chrétiennes de l'Europe » dans un projet de constitution. La nostalgie d'une Église hégémonique adossée à l'autorité de l'État n'a pas tout à fait disparu.
Un affluent chrétien a bien alimenté et alimente encore le fleuve Europe mais cet affluent a lui-même deux sources : le torrent Jésus aux eaux vives et la rivière impériale qui apporte ses eaux troubles. Et ces eaux troubles sont toxiques. Elles provoquent le dépérissement de la foi.